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Santé mentale et discrimination : Tous dans le même bateau.

Sur toute une vie, plus de 25% des Européens auront souffert d’au moins un trouble mental (dépression, anxiété, dépendance…). Une enquête de 2023 (Eurobaromètre) indique que 46 % des Européens ont vécu un problème émotionnel ou psychosocial, tel qu’un sentiment de dépression ou d’anxiété au cours des 12 derniers mois. Les jeunes âgés de 14 à 30 ans sont particulièrement touchés. De nombreuses études et enquêtes menées à travers le monde ont documenté une augmentation significative de la dépression et d’autres troubles de santé mentale tels que l’anxiété, les troubles de la personnalité ou les addictions chez les enfants, les adolescents et les jeunes adultes.

Cependant, malgré son importance, la santé mentale reste un sujet tabou et est toujours aujourd’hui l’objet d’une terrible stigmatisation. Cette discrimination représente un obstacle majeur dans la prise en charge de la souffrance psychique, mais surtout pour l’acceptation de nos patients par la société. En effet, ce phénomène de rejet exclut le malade mental, le psychiatre et la psychiatrie. On est donc tous bien dans le même bateau.

Un extrait déjà ancien (et pourtant d’une impressionnante actualité) d’un rapport canadien sur la santé mentale résume bien l’ampleur du problème en rapportant que : « Les niveaux élevés de stigmatisation et de discrimination accordés aux malades mentaux représentent une des réalités les plus tragiques des maladies mentales… Découlant de la superstition, du manque de connaissances et d’empathie ainsi que d’une tendance à craindre et à exclure les personnes qui sont perçues différentes, la stigmatisation et la discrimination existent depuis toujours. Il en résulte les stéréotypes, la peur, l’embarras, la colère et un comportement d’évitement. Elles obligent les gens à garder le silence sur leur maladie mentale, les amenant souvent à différer une demande de soins de santé, à éviter de suivre le traitement recommandé et à éviter de partager leurs préoccupations avec leur famille, leurs amis, leurs collègues, leur employeur, les dispensateurs de services de santé et d’autres dans la collectivité » (Santé Canada et al. 2002). Cette stigmatisation peut se manifester de différentes façons, allant des préjugés sociaux à la honte auto-infligée, et peut considérablement entraver le chemin vers la guérison. La stigmatisation sociale se reflète en effet souvent en stigmatisation intérieure : les personnes concernées intériorisent les perceptions négatives associées à leur trouble. Cette auto-stigmatisation génère des sentiments de culpabilité, de honte et de dévalorisation, accentuant la dépression et rendant encore plus difficile la demande d’aide.

Beaucoup considèrent encore à tort les troubles mentaux comme un signe de faiblesse, de paresse ou comme un défaut de caractère, au lieu de la reconnaître comme une condition médicale légitime. Ce manque de compréhension alimente des stéréotypes nuisibles, comme l’idée selon laquelle les personnes dépressives ou anxieuses devraient simplement “se ressaisir”, ou “penser positivement”. Ces visions simplistes ne tiennent pas compte de la complexité de la souffrance psychique, souvent influencée par une combinaison de facteurs génétiques, biologiques, psychologiques et environnementaux.

La lutte contre la stigmatisation est une responsabilité collective.
Faire face à ce phénomène nécessite un effort coordonné pour éduquer le public et promouvoir la sensibilisation à la santé mentale. L’éducation est un outil puissant pour démystifier les idées reçues et encourager une perspective plus informée et compatissante. Les campagnes de santé publique, les témoignages de personnes ayant vécu une dépression et les programmes éducatifs dans les écoles et les entreprises jouent sans aucun doute un rôle essentiel dans la réduction de la stigmatisation. Malheureusement, à long terme,  l’impact réel sur les mentalités reste très limité.

Les professionnels de santé ont aussi un rôle clé à jouer.
En fournissant des informations claires, empathiques et sans jugement, ils peuvent aider à combattre la stigmatisation et encourager les personnes à consulter et à poursuivre leur traitement. Cette approche bienveillante est cruciale pour que les patients se sentent compris et légitimes dans leur souffrance, plutôt qu’isolés ou honteux. La prise en charge des patients passent donc aussi par un engagement sociétal des psychologues et 

Créer des espaces sûrs où les individus peuvent parler librement de la dépression sans craindre d’être jugés est une autre étape essentielle.
Que ce soit en famille, entre amis ou dans des groupes communautaires, favoriser des conversations ouvertes sur la santé mentale permet de briser les barrières et de construire une culture de l’acceptation. Partager des histoires de rétablissement et de résilience peut aussi offrir de l’espoir et du soutien à ceux qui luttent, en leur montrant qu’ils ne sont pas seuls dans leur parcours. Récemment, les témoignages authentiques, nuancés et responsables de journalistes, de célébrités du monde du sport et du spectacle ont un impact incroyable positif dans le cadre de ce combat contre la stigmatisation des maladies mentales.

Cependant, le point de départ de la lutte contre la stigmatisation de la souffrance psychique devrait sans doute de « renommer les choses ». Aujourd’hui, le terme « santé mentale » est effectivement partout : dans les médias, au travail, dans les écoles, et jusque dans les campagnes de prévention. On vient de le dire, c’est évidemment un progrès. Aujourd’hui, parler de notre équilibre intérieur, de nos émotions, de nos vulnérabilités n’est plus trop un tabou. Mais derrière cette visibilité accrue, une question se pose : le mot “santé mentale” ne serait-il pas, malgré tout, encore porteur de stigmatisation ?

Pour beaucoup, « santé mentale » évoque encore des images négatives : des troubles graves, des hospitalisations, de la souffrance invisible, intangible mais redoutée. Le terme a longtemps été associé à la « folie », aux « asiles de fous», aux diagnostics psychiatriques lourds. Il peut même être utilisé comme une insulte quand on dit à quelqu’un « espèce de malade mental ». Bref, même si on parle de fatigue émotionnelle, d’anxiété passagère ou de burnout, l’expression « santé mentale » peut faire peur et emprisonner la parole.

Et si, pour avancer vraiment, il fallait changer les mots (renommer) ?
Le terme « santé psychologique », de plus en plus utilisé, offre une alternative intéressante. Il évoque une approche plus globale, plus humaine, centrée sur le bien-être émotionnel, l’équilibre personnel, la qualité des relations et la capacité à faire face aux défis de la vie. Il ouvre un espace de parole plus doux, plus inclusif, et surtout moins pathologisant. Et si la maladie s’invite dans le débat, la communication pourra alors être plus facile car libérée du poids de la stigmatisation

Dans le monde du travail ou de la prévention, on parle déjà de « soutien psychologique », de « bien-être psychologique », ou de « risques psychosociaux ». Ces expressions permettent de prendre soin de soi sans avoir à se considérer comme « malade ». Car après tout, on peut traverser des moments difficiles sans souffrir d’un trouble mental, tout comme on peut être triste sans être en dépression.

Nous ne proposons pas de bannir le mot “santé mentale” : il reste probablement nécessaire dans les champs médicaux, institutionnels ou politiques. Mais peut-être est-il temps d’enrichir notre vocabulaire, pour mieux refléter la diversité des vécus humains, du simple mal-être temporaire à la pathologie plus sévère. Une visions spectrale de la « souffrance psychique ».

Changer les mots, en psychiatrie et en psychologie, c’est souvent le premier pas pour changer les regards. Et parfois, c’est ce qu’il faut pour que chacun ose dire : « moi aussi, je souffre psychologiquement ».

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