Manon Demonty
Introduction
Le nombre de personnes qui s’interrogent aujourd’hui sur la possibilité d’un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDA/H) est en constante augmentation. Cette tendance reflète à la fois une meilleure connaissance du trouble et la visibilité accrue de ses manifestations chez l’adulte. Pourtant, si la réflexion personnelle peut être un premier pas utile pour comprendre certaines difficultés du quotidien, l’auto-diagnostic comporte un risque majeur : celui de confondre un tableau clinique complexe avec des expériences humaines plus générales, ou avec d’autres difficultés psychologiques qui peuvent en imiter les symptômes.
Le TDA/H est un trouble neurodéveloppemental dont l’expression est très variable d’une personne à l’autre. Ses manifestations peuvent être subtiles, masquées, ou renforcées par des événements de vie, des comorbidités, ou encore par des stratégies de compensation élaborées au fil du temps. À l’inverse, de nombreuses situations – stress chronique, anxiété, dépression, surcharge cognitive, burn-out, traumatismes, problèmes médicaux ou même une hygiène de vie altérée – peuvent produire des difficultés d’attention, d’organisation ou de régulation émotionnelle sans pour autant relever d’un TDA/H.
C’est pour cette raison que le diagnostic clinique ne se limite jamais à une liste de symptômes. Il s’appuie sur une démarche rigoureuse, qui examine la persistance, la présence depuis l’enfance, la cohérence du tableau, et surtout, l’absence d’explication alternative plus solide. Cette démarche nécessite un regard extérieur, formé à distinguer ce qui relève du trouble, de ce qui en est une conséquence, ou de ce qui s’en rapproche sans en faire partie.
La check-list qui suit n’a donc pas vocation à servir d’outil de diagnostic personnel. Elle offre plutôt un cadre de réflexion, destiné à aider les professionnels, ainsi qu’à permettre aux personnes concernées de mieux comprendre les enjeux d’une évaluation clinique. Elle met en évidence les questions fondamentales à se poser lorsqu’une suspicion de TDA/H apparaît : les symptômes rapportés sont-ils réellement ceux du trouble ? Sont-ils persistants ? Sont-ils spécifiques ? Et le moment est-il approprié pour procéder à une évaluation ?
Utilisée avec prudence, cette grille peut ainsi aider à clarifier les pistes, éviter les conclusions hâtives, et favoriser une démarche diagnostique plus éclairée, plus nuancée et mieux adaptée à chaque personne.
Check-list quand suspicion de TDA/H :
1/ Le patient rapporte-t-il réellement les symptômes ?
Ce qui est un symptôme :
• Des difficultés d’attention : erreurs d’inattention, difficultés de maintien attentionnel sur
la durée, oublis à court terme, perte d’affaires, difficultés d’organisation dans le temps et l’espace, difficulté à terminer les choses et respecter les consignes, distractibilité, tendance à éviter les efforts de concentration, ne pas écouter
• De l’impulsivité : couper la parole, prendre de la place et déranger les autres, parler trop,
peiner à attendre son tour
• De l’hyperactivité : chipoter, se lever, se sentir physiquement ou mentalement agité, être
« sur la brèche », être bruyant

Ce qui n’est pas un symptôme, mais potentiellement une conséquence :
• Des difficultés relationnelles
• De l’hypersensibilité
• De l’anxiété
• Tout ce qui est associé à la personnalité (c’est-à-dire, le patient choisit d’agir comme cela mais ça n’est pas une difficulté ; attention à la construction identitaire en compensation aux difficultés)
• Les difficultés de mémoire épisodique pure (trous de mémoire, oublis du passé)
• Une potentialité intellectuelle
2/ Y a-t-il des indicateurs d’une persistance des difficultés ci-dessus ?
Exemple :
– Le patient a eu des difficultés dans l’enfance, pendant sa scolarité ; par exemple, il a fait
de la logopédie, il a redoublé
– Le patient a déjà rencontré ces difficultés dans d’autres contextes (autres jobs, etc.)
– Le patient a toujours rencontré quelques difficultés, mais ça n’a jamais pris d’ampleur
avant d’avoir été confronté à des étapes clés de sa vie (études supérieures, travail en
autonomie, gestion de projets, vivre seul, avoir des enfants)
– Le patient avait déjà ces symptômes avant un épisode aigu (burn-out, épisode dépressif majeur…) ou avant un autre facteur explicatif (cfr point 3)
3/ Y a-t-il des éléments évidents qui peuvent expliquer alternativement les symptômes, ou du moins mieux les expliquer actuellement ?
Exemple :
– PTSD complexe avec vécu traumatique depuis l’enfance ➔ très difficile de faire le
diagnostic différentiel et risque de prendre le diagnostic de TDA/H comme une explication à tout et donc une forme d’évitement du monde interne
– Tout trouble psychologique aigu de l’axe 1 (épisode dépressif majeur, trouble anxieux, PTSD type 1, état maniaque…) ➔ cela ne veut pas dire que le patient n’a pas en plus un TDA/H, mais ça n’est pas toujours le bon moment pour faire un bilan. Toutefois, parfois,
les épisodes aigus surviennent dans le cadre du TDA/H et il est important de faire le
diagnostic pour donner des réponses et des pistes, mais pas forcément avec des outils
psychométriques- Burn-out ➔ idem, les patients TDA/H sont potentiellement à risque de burn-out ; les
burn-out ne sont toutefois jamais un bon moment pour faire un bilan cognitif, mais il peut être pertinent de faire un diagnostic sur base des données comportementales
– Problème médical : thyroïde, problématiques hormonales, migraines, anesthésie générale récente, prise de médicaments…
– Antécédents neurologiques évidents : AVC, trauma crânien récent, épilepsie, suspicion de démence…
– Problématique évidente de l’hygiène de vie (alimentation, sommeil) ➔ à nouveau, les patients TDA/H peuvent avoir plus de difficultés à maintenir une hygiène de vie correcte
– Consommation de substances ➔ idem, temporalité très importante car patients TDA/H
peuvent être plus à risque d’addictions
– Autre trouble neurodéveloppemental (TSA, déficience intellectuelle) ou de l’apprentissage (trouble dys) ➔ comorbidité possible

4/ Est-ce le bon moment de faire le diagnostic ?
• Est-ce que ça apporte actuellement quelque chose de faire un diagnostic complet ?
• Est-ce que les problématiques actuelles semblent tellement explicables par un TDA/H qu’il est essentiel pour le traitement médical ou psychothérapeutique ?
• Si le questionnement vient du patient, pourquoi maintenant ? Qu’apporterait cette réponse ?
• Y a-t-il une raison d’établir un bilan de difficultés (par exemple, demandes d’aménagements raisonnables aux études supérieures) ?
• Est-il d’abord pertinent de prendre en charge les comorbidités (ex : anxiété, dépression,problématiques liées à l’hygiène de vie) ou de diagnostiquer le trouble ?
• Les outils déployés ont-ils été insuffisants en l’absence de diagnostic (les patients TDA/H bénéficieront moins de conseils non individualisés, par exemple, le trouble n’étant pas un manque d’organisation mais une difficulté exécutive à mettre en place et à maintenir une organisation) ?